L’annonce officielle du successeur de la Nintendo Switch 2 approche. On a à faire à toute sorte de rumeurs et de on-dit sur ses caractéristiques physiques, sur son intérieur. Moins évoqué, c’est le catalogue de jeux vidéo présent au lancement du successeur de la console hybride qui interroge la conscience des joueurs. Mario Kart 9 ? Un Donkey Kong en 3D ? S’il faut se montrer patient pour avoir les présentations officielles, cela n’empêche pas de se questionner sur l’absence d’un genre bien spécifique dans les productions Nintendo.
C’est ce qui m’est arrivé. J’ai essayé d’esquisser la philosophie de Nintendo ainsi que le type de jeux sortis pour ces grandes occasions. C’est alors que j’ai constaté une absence de taille dans leur catalogue, pourtant riche après plus de 40 ans de jeux vidéo. Une absence qui constitue même une anomalie pour moi : pourquoi “Big N” n’a-t-il toujours pas sorti un jeu vidéo qui ne mêle pas sa vision du jeu et sa musique ? Le géant de Kyoto a pourtant toutes les cartes en main pour en faire un énorme succès : des exemples ailleurs qui ont marché, des échecs pour s’inspirer, une banque musicale colossale et surtout une idéologie vieille de plus de 135 ans…
Des exemples ailleurs qui marchent
Quand je parle de jeu musical, je parle surtout d’un titre qui met en scène la bande-originale de Nintendo. À l’instar de ce que fait très bien les épisodes Final Fantasy : Theatrythm. Le dernier épisode est sorti en février 2023 a alors séduit le public et la presse. On parle alors de 104 personnages jouables différents et surtout “d’un voyage musical incroyable dans l’univers de Final Fantasy” comprenant entre 385 et 502 morceaux. Ce sont 45 jeux (hors DLC) qui sont alors représentés.
Les jeux FF Theatrythm sont les exemples les plus équivoques puisque ce sont les seuls jeux à notoriété mondiale (toute proportion gardée) qui reprennent le concept de s’amuser avec la banque musicale d’une même licence. Toutefois, il ne faut pas mettre de côté d’autres titres qui marchent.

Si Activision a arrêté Guitar Hero par souci de rentabilité, cette série a sans doute marqué les esprits entre 2005 et 2015. On pouvait alors rejouer, à l’aide d’instruments en plastique, des hits musicaux générationnels. Pourtant, Activision fut en procès à plusieurs reprises à travers la publication de ses jeux. C’est, par ailleurs, probablement pour la fréquence de sortie des titres et le probable coût des droits d’utilisation des musiques qui a forcé l’éditeur a abandonné la licence. Un écueil que Nintendo n’aurait pas à subir.

Dans un registre bien plus niche, c’est la série Taiko no Tatsujin qui impressionne par sa longévité. Un jeu vidéo d’arcade développé et édité par Bandai Namco avec un premier épisode sorti en 2001. Le principe est simple : le joueur doit taper sur un tambour avec deux baguettes, en rythme avec la musique à l’écran. Un concept que l’on retrouve presque à l’identique dans un jeu Nintendo que l’on aborde plus loin dans ce papier. Taiko no Tatsujin traverse les générations de consoles et fête ses 24 ans en février prochain. C’est, par ailleurs, pas plus tard que le 09 janvier dernier qu’un DLC de morceaux a été rendu disponible. S’il est indiqué que la série s’est vendue à 25 millions d’exemplaires (1 million d’unités vendues par an, grosso modo), il faut rappeler qu’elle reste dédiée à un public japonais, amateur de salles d’arcade et ce malgré sa disponibilité sur consoles. On peut donc légitimement penser qu’avec son nom et Mario et Zelda sur la jaquette, Nintendo peut faire bien mieux que Taiko no Tatsujin.
Dans un registre similaire, Ubisoft cartonne depuis 2009 avec une série qui n’est ni Assassin’s Creed ni Tom Clancy. La série Just Dance s’appuie sur une technologie de capteur de mouvements où le joueur doit reproduire une chorégraphie en rythme avec la chanson. Quelque chose qui n’est pas sans rappeler le principe de Dance Dance Revolution (avec les tapis électroniques) des salles d’arcade. Just Dance est une franche réussite avec plus de 80 millions d’exemplaires vendus (novembre 2022) à travers le monde). L’édition 2020 est même sortie sur Wii, sept ans après l’arrêt de production de la console.
Des teraoctets de musiques
J’en parlais tout à l’heure : Final Fantasy Theatyrhtm : Final Bar Line comporte entre 385 et 500 morceaux, avec plus de 45 jeux intégrés. Est-il réellement nécessaire que j’évoque en détails la banque musicale dont dispose Nintendo pour un éventuel jeu similaire ? Pour se faire une petite idée, il suffit de prendre en exemple la bande-originale de Super Smash Bros. Ultimate. Le versus-fighter X party-game de Nintendo, considéré parfois comme l’un des cross-overs les plus généreux de l’histoire, comporte plus de 1000 morceaux avec ses DLC. La majorité a même été réorchestrée pour l’occasion, avec certains qui n'affichent pas des caractéristiques les rendant compatibles avec des jeux du genre : comparer l’Aria de Persona 5 avec le réarrangement réalisé pour SSBU et vous comprendrez ce que je veux dire.
Si cette bande-originale paraît énorme, elle n’est là qu’un échantillon des morceaux les plus populaires tirés des jeux les plus populaires de Nintendo. C’est aussi sans compter les réorchestrations faites pour certains concerts, ou les différentes versions d’un même morceau, voire les musiques utilisées dans des trailers jamais réutilisées pour les jeux en question. En témoigne celle du tout premier trailer de Breath of the Wild.
Enfin, le succès d’un éventuel titre pourrait ouvrir la porte à des collaborations. Je parlais tout à l’heure de Taiko no Tatsujin. Le dernier épisode comprend des DLC à tire-larigot (plus de 20 !), chacun ayant ses propres univers. Il y en a dédiés à One Piece, d’autres à Détective Conan, mais aussi à Gibhli, aux jeux Namco ou encore à la musique pop. Bref, Nintendo ne peut pas non plus avoir l’excuse du contenu : il y a de quoi faire.
Les jeux principaux de la saga Zelda sont définitivement une preuve de l’attrait de Nintendo pour la musique. Ils ne comportent pas tous des références au 4e art, mais tout même. Le héros du temps est souvent affublé d’un instrument quand ce ne sont pas son environnement qui lui rappelle. Dans Ocarina of Time, son aventure passe forcément par la possession de l’ocarina. Idem dans Majora’s Mask ou ses transformations sont accompagnées d’instruments différents. Link’s Awakening le force à récupérer huit instruments différents, tandis qu’il contrôle les vents à l’aide d’une baguette d’orchestre dans The Wind Waker. Affublé d’un accordéon, c’est Kass qui raconte la légende des prodiges et qui est bien plus qu’un conteur d’histoire.
Les essais chez eux, pas nombreux et pas concluants
Avant de continuer d’évoquer le cas Dance Dance Revolution, il convient de rendre à César ce qui est à César. Au début des années 2000, avec la sortie de la Gamecube, Nintendo s’est essayé à différents jeux musicaux de sa propre composition. En 2003, développé par Konami, Donkey Konga est publié par Nintendo. À la manière de Taiko no Tatsujin, le joueur doit taper sur des congas en rythme avec ce qui est affiché à l’écran. La bande-originale est composée de thèmes originaux, de thème réarrangés (comme celui de Zelda ou celui de Mario Bros) et de morceaux de musique classique connus (La Marche Turque, La Danse Hongroise n°5). Ce ne sera pas un franc succès commercial. En 2014, on parle du million de ventes atteint. Ce qui reste peu pour Nintendo. Le titre récupère toutefois plusieurs récompenses pour son côté novateur et Nintendo ira même jusqu’à publier deux titres supplémentaires, le troisième n’étant toutefois sorti qu’au Japon.
En parlant de Dance Dance Revolution et de Nintendo, il convient d’aborder le cas Dance Dance Revolution : Mario Mix, aussi connu sous le nom de Dancing Stage Mario Mix en Europe. C’est la première fois qu’un jeu du type est commercialisé en Europe et édité par Nintendo sur une de leurs consoles. Le titre reçoit des critiques mitigées lors de sa sortie. Il est toutefois nommé, lors de la 9e cérémonie des Interactive Achievment Awards (qui sont aujourd’hui les D.I.C.E Awards), dans la catégorie du Meilleur jeu familial. Anecdote rigolote, Dancing Stage Mario Mix perd alors face à Guitar Hero. Sans lien de cause à effet, ce sera la dernière fois que Nintendo éditera un titre du style en Europe. À l’instar de Donkey Konga, ce ne sera pas une franche réussite commerciale.
Les années passent et Nintendo semble décider de ne pas relancer un projet similaire. Il faut alors attendre 2019 pour voir un projet musical à succès sur leur Switch. C’est Ryan Clark, le CEO de Brace Yourself Games, qui explique dans un entretien en 2019, qu’il a approché Nintendo pour savoir s’il était possible d’utiliser les musiques de Zelda pour faire un DLC de Crypt of the Necrodancer : un jeu qui mélange rythme et roguelike qui a séduit la presse et le public (87/100 sur metacritic, 95% d’avis positifs sur Steam avec plus de 20 000 avis enregistrés). Ryan Clark indique que Nintendo semble plus qu’emballé au point de faire évoluer l’idée : pourquoi faire un DLC quand vous pouvez faire un jeu complet ?
Cadence of Hyrule naît. Il captive l’audience lors de sa première présentation dans un Nintendo Indies en 2019 : c’est la première fois depuis très longtemps que Nintendo fait confiance à un studio indépendant pour le traitement de l’une de ses licences phares. La supposée rapidité d’accord avec Nintendo témoigne de la volonté de l’entreprise d’explorer voire d’exploiter un genre de jeu qu’ils n’ont pas encore réussi à maîtriser. Et à ce jour, Cadence of Hyrule est à ne pas douter le meilleur titre musical supervisé par Nintendo d’autant qu’il est disponible sur la dernière console du constructeur.
Enfin, le hasard fait bien les choses. Alors que je suis en train de rédiger cet article, une rumeur tombe il y a quelques jours. Elle concerne Retro Games, un studio appartenant à Nintendo depuis le début des années 2000 responsable de plusieurs jeux first-party. C’est par exemple à eux que l’on doit les Metroid Prime mais aussi Donkey Kong Country Returns et Donkey Kong : Tropical Freeze. Chacun de ces jeux vidéo sont très bien reçus à leur sortie et la réputation du studio texan n’est plus à faire. Pourtant, si l’on sait qu’il est responsable de Metroid Prime 4 (dont la sortie est prévue en 2025), il s’est passé onze ans sans aucun jeu de leur part. C’est Kiwi Talkz, un Youtuber ayant eu l’occasion de s’entretenir avec plusieurs employés de Retro Studio, qui indique il y a quelques jours avoir un témoignage expliquant que le studio aurait été chargé d’un “jeu de rôle musical où la mécanique principale serait de chanter”. Il ajoute que le projet aurait viré à la catastrophe et aurait été annulé par Nintendo, justifiant de muter le groupe sur Metroid Prime 4.
Le jouet et le jeu vidéo : le fun avant tout
Si cette rumeur se révélait être vraie, cela voudrait dire que Nintendo fait plus que caresser l’idée d’un jeu musical à leur propre sauce mais que la pratique se révèle être plus complexe que prévue. Il convient de rappeler que Nintendo est, à l’origine, une entreprise qui vendait des cartes à jouer à la fin du 19e siècle. Elle a traversé les époques et les business model avant de se fixer sur du divertissement, créant des jouets et des jeux vidéo. Le “fun” est le mot d’ordre de l’entreprise et il n’est pas exceptionnel qu’elle décide d’abandonner des licences populaires et appréciées tant qu’elle n’a pas le filon créateur. En témoignent les dix ans d’attentes entre les deux derniers épisodes de Super Mario Bros, l’absence d’un véritable nouveau jeu F-Zero ou encore le temps de développement nécessaire pour Pokémon TCG Pocket.
On imagine Nintendo plancher sur une idée qui, sans être révolutionnaire, serait novatrice pour le genre du jeu musical. D’autant qu’il se peut que “Big N” veut mixer ça avec du hardware, comme il a déjà pu le faire par le passé. Outre le tapis de danse et les kongas, Nintendo a mis au point un volant et une balance à l’époque de la Wii. Plus récemment, c’est une espèce de cercle de fitness (Ring Fint Adventure), des jouets téléguidables en réalité augmentée (Mario Kart Live : Home Circuit) ou encore un set de construction pour enfants interactifs qui ont vu le jour (Nintendo Labo). En bref, l’esprit créatif est toujours là mais il faut du temps.
Des initiatives récentes qui sonnent juste, enfin ?

Quelque chose que l’on peut aussi constater par leurs initiatives récentes. Alors que l’annonce du successeur de la Switch se fait de plus en plus proche, Nintendo semble se moquer des joueurs en annonçant, semaine après semaine, du nouveau matériel bien loin d’une console inédite. Quelque chose qui s’est vu avec la collaboration LEGO ou encore l’annonce d’Alarmo. Ce dernier est présenté en octobre 2024. Une concrétisation d’une idée suggérée des années auparavant. Le principe de ce réveil interactif est de capter les mouvements de la personne endormie avec, pour la tirer de son sommeil, des musiques de plusieurs productions maisons comme Super Mario Odyssey, Breath of the Wild ou encore Splatoon 3. Si ça reste léger, on retrouve le concept de musique et sert le biais de confirmation que, oui, Nintendo veut exploiter sa banque musicale.
Et ce n’est pas l’autre de ses initiatives récentes qui l’infirme. Au contraire. Trois semaines à peine après la présentation d’Alarmo, Nintendo annonce au grand jour la disponibilité immédiate de Nintendo Music : une application réservée aux abonnés du Nintendo Switch Online pour profiter d’un “catalogue grandissant de mélodies”. De quoi, peut-être mesurer l’engouement des joueurs pour les différentes bandes-originales de Nintendo.
Toujours est-il qu’en 2025, après plus de 40 ans de jeux vidéo, l’absence d’un vrai jeu musical (ou du moins, exploitant les bande-originales de ses jeux) estampillé par Nintendo constitue une anomalie pour moi. Big N a pourtant démontré, à maintes reprises, sa capacité à réaliser des jeux innovants reprenant parfois des concepts de la vie de tous les jours : sport, simples jeux de cerveaux ou encore dog-sitting pour ne citer que les plus connus. Il est donc difficile de croire que Nintendo n’y pense pas. Le principe fait probablement office de casse-tête pour l’entreprise, qui s’est toujours montré prudente. Il faut dire qu’elle a habitué ses joueurs à ne pas faire de fausse note.