Il y a plus de 24 ans, je revenais de ma boutique préférée avec un jeu qui m’a profondément marqué. Pour plusieurs raisons : il m’a montré le meilleur et parfois le pire des autres joueurs…
Cet article étant un billet d’opinion, il est par nature 100 % subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de JV. Bonne lecture !
Le bon vieux temps
Nous sommes au mois de février 2001. À cette période, le premier Hitman vient de sortir en France, accompagné de Banjo-Tooie sur Nintendo 64 et Final Fantasy IX sur PlayStation. De son côté, le monde des consoles de jeux est également en ébullition : Microsoft s’apprête à rentrer sur le ring des constructeurs en préparant le lancement de sa Xbox tandis que SEGA officialise son abandon. La Dreamcast n’arrive pas à lutter contre la PlayStation 2, et les coûts font paniquer la direction. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, avec une perte nette estimée à 550 millions d’euros pour l’exercice en cours, SEGA court vers la catastrophe. Le groupe décide de tout arrêter, ou presque. Il va continuer à sortir des jeux sur leur Dreamcast en attendant que les stocks s’épuisent, puis il se concentrera sur l’édition.

S’éloignant de ce tumulte, les joueurs de la console à la spirale bleue quittent notre planète. Après tout, dans l’espace, personne ne les entendra pleurer ! Les plus renseignés savent que leur machine est condamnée, mais l’incroyable Shenmue vient de sortir et un titre d’un genre nouveau vient de débarquer en France : Phantasy Star Online. Le Virgin Megastore des Champs-Élysées fête l’événement en faisant péter les PLVs. Il faut reconnaître que le soft a presque tout pour s’imposer : il est tout simplement le premier MMORPG en ligne qui sort sur console, quand bien même il aurait un système d’instances. Dans notre test, nous le qualifions de “précurseur”, au “concept novateur”. Joypad parle “d’un chef d'œuvre”. "Quel pied pour moi, qui n'ai quasi jamais joué sur PC, et qui découvre donc plus ou moins le jeu online grâce à ce premier jeu de rôle console utilisant le support Net", lit-on dans le supplément du numéro 105. GamesRadar lui donne la note maximale, IGN un 9.3/10, Famitsu un 37/40... bref, la presse spécialisée mondiale adore PSO.

Heureux de se retrouver en ligne
Si les critiques sont si bonnes, c’est parce que le titre imaginé par la Sonic Team est à la fois accessible – pour plaire aux joueurs consoles – tout en disposant de plein de choses à débloquer (armes, équipement, mags) afin d’engendrer une course à la puissance grisante. Bien que la Dreamcast dispose déjà de jeux jouables en ligne à la toute fin des années 1990, à l’image de Quake III Arena, le lag omniprésent laisse planer le doute quant aux fonctionnalités en ligne de la machine. Quand PSO débarque, il surprend tout le monde : même avec nos bons vieux modems 33k des Dreamcast européennes, la fluidité est là ! Le mode online est sans faille, dépourvu de ralentissements et servi par des fonctionnalités efficaces (support du clavier Dreamcast, nombreux raccourcis paramétrables), voire avant-gardistes (système de construction de phrases pour une traduction automatique). Est-ce qu'on lisait des gros mots malgré le système de censure ? Oui. Est-ce qu'on voyait des choses inappropriées à cause de la communication par images ? Oui, aussi. Il n’y a pas de barrière dans Phantasy Star Online, pas même celle de la langue… ce qui est utile quand toutes les nationalités sont invitées à s’aventurer dans l’univers dangereux de Ragol.

C’est une guerre intersidérale où tous les pays sont invités, qui attendent le soldat de PSO. Dans un futur lointain, l’humanité est en quête d’un nouveau foyer. Deux vaisseaux gigantesques, les Pioneer 1 et 2, sont envoyés en mission vers une planète lointaine prometteuse : Ragol. À bord du Pioneer 2, les joueurs doivent enquêter sur ce qui est arrivé aux premiers colons portés disparus depuis une mystérieuse explosion. Via des équipes pouvant s’étendre jusqu’à quatre aventuriers, il faut utiliser les atouts de sa race (Humain, Newman, Androïde) et de sa profession (Hunter, Ranger, Force) pour faire avancer son équipe vers la victoire. Les niveaux se découpent en petites arènes où les portes s’ouvrent quand tous les adversaires sont détruits. À la fin de chaque monde, un boss gigantesque nécessite d’être éliminé… et c’est là que PSO m’a appris le sens du mot “confiance”.

Face aux charognards, la mort n’est pas une option
Avec ses graphismes colorés, son studio habitué à faire des jeux de plateforme sympas (la Sonic Team) et son aspect PvE qui sous-entend une bonne entraide entre les joueurs, Phantasy Star Online peut donner l’impression d’être facile, calibré pour tous. Si sa maniabilité est effectivement simple et que ses règles sont rapidement assimilables, cela ne veut pas dire pour autant que PSO est calibré pour tous. Il y a un détail lié au challenge général qui est extrêmement hardcore : la mort. Quand notre avatar arrive à court de HP, les conséquences sont terribles : on laisse tomber tout l’argent que l’on porte (les mesetas) et, comme si ce n’était pas suffisant, on laisse également tomber l’arme équipée ! Le problème, c’est qu’avec sa structure Hack'n Slash qui repose sur la course à la puissance, PSO punit le joueur de la pire des façons en cas de trépas.


À la manière de ce que les joueurs connaissent dans Dark Souls, quand on meurt, l’équipement (dont le contenu est précisé plus haut) reste là où notre personnage est mort. Il est possible d’y retourner en faisant tout le chemin, même si cela est fastidieux. En ligne, les autres joueurs peuvent ramasser ce que vous avez laissé tomber… et c’est là que vous comprenez le titre de cet article. Soit le joueur en question décide de vous faire revivre puis de tout vous restituer, soit il vous laisse là et pique sous vos yeux votre matos ainsi que votre argent. Libre à lui, ensuite, de se déconnecter et de ne jamais vous restituer quoi que ce soit ! J’ai passé des parties mémorables grâce à cette règle punitive, essayant de créer des liens forts comme je le pouvais, même avec des inconnus, afin de m’assurer de leur entière coopération en cas de mort. La confiance entre les membres de l’escouade est primordiale, dans PSO.

Créer des liens online… puis croiser les doigts (et les photons !)
C’est selon moi ce qui rend Phantasy Star Online aussi passionnant à jouer, à plusieurs. On passe de lobby en lobby à la recherche de guerriers qui paraissent sympas, et on noue des liens avant de partir au combat, quitte à s’échanger des items histoire de briser la glace dans un langage universel. Quand un coéquipier d’un soir offre une Scape Doll, un bonus permettant de ressusciter immédiatement en cas de mort, c’est la manière ultime de prouver sa bonne foi. Il existe bien un objet qui donne l’opportunité de se téléporter sur Pioneer 2 quand on est dans un donjon (le telepipe), mais ce dernier ne fonctionne pas pendant un combat de boss. Face aux méchants les plus impressionnants, seule la victoire empêche de perdre son stuff, et il faut reconnaître que ça rend ces batailles plutôt tendues.
Dans un souci d’accessibilité, SEGA a rendu la mort moins frustrante dans les autres jeux de la série. Dès Episode I & II, seul l’argent est perdu, alors qu’il n’y a plus aucun malus dans Phantasy Star Online 2 New Genesis. Bien que cela soit assez compréhensible quand on voit l’évolution des MMORPG free-to-play de ces dernières années, je trouve ça un peu dommage. Aujourd'hui, lorsque l’on évoque PSO sur le Net, de nombreux joueurs disent encore se rappeler des disputes avec leurs parents à cause de factures France Telecom incroyablement salées. Pour ma part, je me souviens avant tout de ma première bataille contre De Rol Le sur le radeau de l’enfer, où j’ai perdu mon Spread Needle flambant neuf en mourant. Spread Needle qu’un certain “Léon” m’a restitué peu après. Si tu me lis, mon pote, sache que je n’ai jamais oublié ce geste héroïque, même 24 ans plus tard !