Faites l’expérience vous-même : ouvrez Google et demandez au moteur de recherche “quelle est la pire console de Nintendo”. Vous tomberez alors sur des discussions ainsi que sur divers classements pointant du doigt une drôle de machine sortie peu après la PlayStation. Ici, pas de système de la mort lisant les CDs : la 3D n’est pas polygonale mais stéréoscopique. C’était le futur et ça s’est terminé en flop. Il m’a fallu 30 ans pour craquer pour cette Virtual Boy que tout le monde aime détester.
Des précipitations sur les reliefs
Il y a des lubies qui ont mené des marques dans des zones rouges inextricables. Prenez Microsoft, son envie insistante de vendre une plateforme multimédia “tout en un” avec un Kinect imposé a failli faire disparaître les Xbox des radars. Chez Nintendo, c’est la 3D stéréoscopique qui a longtemps fait vibrer les départements “recherche et développement” de la firme japonaise. C’est en particulier au génial Gunpei Yokoi (créateur de la Game Boy) que l’on doit cette obsession. L’homme est persuadé que la 3D en relief peut apporter des sensations nouvelles au joueur tout en lui proposant de nouvelles manières d’interagir dans un univers virtuel. Qui aurait pu lui assurer l’inverse ?
L’aventure de Nintendo sur les routes sinueuses de la 3D stéréoscopique débute en 1987 sur Famicom (la NES), quand le constructeur japonais sort son “3D System”. Il s’agit de grosses lunettes noires au look futuriste à l’intérieur desquelles deux écrans LCD génèrent un effet de relief sur les titres compatibles. Malheureusement, les sept softs qui utilisent l’accessoire n’apportent ni l’immersion, ni les nouvelles façons de jouer espérées par Gunpei Yokoi. Résultat ? Le Famicom 3D System est un échec commercial qui ne passera jamais les frontières du Japon. Cependant, l’idée d’immerger le joueur dans une 3D en relief n’est pas abandonnée par Nintendo. Loin de là.

Du casque VR aux œillères 3D
Toujours attiré par la 3D stéréoscopique, Gunpei Yokoi se laisse convaincre par une technologie développée par une entreprise américaine nommée Reflection Technology Inc. Cette dernière présente un prototype d’un casque avec suivi de mouvement, la réalité virtuelle avant l’heure ! Le Géo Trouvetou de Nintendo signe un accord avec RTI pour concevoir une machine utilisant ce concept. Néanmoins, et comme souvent avec la firme de Kyoto, le projet change dans l’optique de réduire les coûts de conception au maximum. Il n’y a plus qu’une seule couleur affichée : le rouge. Le casque à détection de mouvement est également rayé de la carte, mais l’effet de 3D stéréoscopique est gardé.
Lorsqu’elle débarque en 1995, la Virtual Boy, nom donné à la console “immersive” de Nintendo, est bien loin de ses promesses d’origine. La machine est un simple appareil posé sur une table qui s’utilise avec une manette, on est loin du casque VR du premier prototype ! Peu soutenue par un Nintendo qui place ses investissements dans une N64 agressée par Sony, boudée par Shigeru Miyamoto qui ne daigne même pas faire un Mario dessus, la machine est lancée en 1995 avec du plomb dans l’aile. Sans grands jeux et face à une PlayStation qui n’arrête pas d'accueillir des petites pépites, la console meurt un an après sa sortie.
Alerte rouge
Oui, toutes les blagues ont déjà été faites sur la Virtual Boy, une machine estampillée Nintendo – à qui tout souriait à cette époque – qui a vécu moins longtemps qu’une N-Gage. Elle est pourtant dotée d’une idée originale, celle d’immerger les joueurs comme jamais auparavant. Il suffit de mettre ses yeux dans une sorte de viseur pour contempler des jeux en 3D Active. C’est un tour de force technologique au milieu des années 1990, certes, mais les graphismes monochromes rappellent ceux de la Game Boy, sauf qu’ici tout est affiché dans un rouge criard. En plus de ne pas être agréables, ces graphismes sont incroyablement pauvres par rapport à ceux affichés par les jeux PlayStation. Du côté de l’ergonomie, la prise en main laisse à désirer : il est difficile de trouver une position confortable pour y jouer, à cause de sa manette reliée par un court câble et à son trépied pas toujours simple à régler.
La firme de Kyoto dépense des millions de dollars dans des publicités pour des magazines ou à la télévision afin d’essayer de vendre son hardware, mais rien n’y fait. Il faut reconnaître qu’il est compliqué de vendre au grand public l’effet 3D alors qu’il faut obligatoirement avoir la console devant soi pour le constater. Avec seulement 770 000 unités vendues, la Virtual Boy est le plus grand flop de Nintendo. Pendant longtemps, j’ai vu son nom circuler dans des articles expliquant qu’elle donnait la nausée, provoquait des maux de dos et qu’elle ne méritait pas qu’on lui accorde son temps comme son argent. Je ne sais pas si c’est par esprit de contradiction, mais la machine m’a toujours fait de l'œil, aux côtés de la Vectrex. J’ai donc décidé de passer le pas et de m’en procurer une. Devinez quoi ? Elle a de vraies qualités, cette machine.


Des jeux qui manquent de profondeur ?
Je ne veux pas vous convaincre des qualités ludiques de la Virtual Boy, vous savez déjà tout dans les grandes lignes. Il n’empêche qu’elle a un truc de vraiment spécial. À l’image d’une Vectrex qui se joue sans que l’on ait besoin de la relier à une TV, la Virtual Boy apporte un plaisir immédiat qui sent bon le début des années 1990… une époque où les produits électroniques plus fous les uns que les autres sont arrivés dans nos boutiques.
Contrairement à ce que j’ai pu lire, non, elle ne donne pas la nausée et non, elle ne provoque pas de migraine. Une fois les yeux glissés dans les lunettes de l’objet, l’effet de 3D stéréoscopique est impeccable. Dans la plupart des jeux en ma possession, il n’apporte pas grand-chose au gameplay, mais il y a tout de même des exceptions. Le shoot’em up Vertical Force, par exemple, base ses mécaniques sur le changement de plan et demande de gérer la profondeur pour l’emporter. Même constat pour Mario Clash, qui offre une expérience 100 % plates-formes articulée autour des capacités 3D de la Virtual Boy. Je dois reconnaître que la plupart des jeux misent sur ce relief avant tout pour apporter des “sensations” supplémentaires, comme Teleroboxer ou Mario Tennis, mais ça marche bien.
Les prix du jeu horrifique Innsmouth no Yakata ayant flambé, j’ai jeté mon dévolu sur un Wario Land. J’ai presque un peu honte d’écrire ça en 2025, mais j’ai bien eu une petite claque sur ce titre qui explore la 3D stéréoscopique de manière intelligente avec des obstacles qui se balancent du premier au second plan, un Wario – et des adversaires – évoluant sur plusieurs niveaux de profondeur, des transformations funs et un gameplay aux petits oignons. Je ne sais pas si la Virtual Boy aurait mérité un succès commercial plus important, mais ce qui est sûr, c’est que j’aurais aimé voir ce que Nintendo, et d’autres développeurs talentueux, auraient pu faire avec cette machine originale.
Malgré cette nouvelle déconvenue avec la 3D stéréoscopique, Nintendo retentera sa chance avec la 3DS sous l’impulsion de Satoru Iwata. Cette fois-ci, le succès sera au rendez-vous, bien que la 3D en relief (sans lunette à porter) ne soit pas l’argument premier dans le succès de la machine (le succès de la 2DS en est la preuve). 30 ans presque jour pour jour après son lancement, la Virtual Boy reste cet objet étrange qui a toute sa place sur les étagères des collectionneurs qui n'ont pas peur d'ouvrir la bête pour la réparer de temps à autre. Peut-être que pour mieux la comprendre, il faut faire comme Shigeru Miyamoto et la voir comme “un jouet amusant” pensé comme “une démonstration technique” plutôt que de la considérer comme une véritable plateforme de jeux.