Plus d'un million de signatures pour la pétition 'Stop Killing Games' : une lutte pour la pérennité des jeux vidéo face à la fermeture des serveurs

Titre original : Plus d’un million de joueurs disent non à la mort programmée des jeux vidéo et ça pourrait bien changer les choses...

Un an pour changer l’industrie du jeu vidéo, c’est l’objectif qu’un youtubeur s’est fixé en 2024. Grâce à la mobilisation de plus d’un million de joueurs à travers l’Union européenne, il pourrait bientôt atteindre son but. Une pétition citoyenne souhaite en effet contraindre les éditeurs à garantir la jouabilité de leurs jeux, mais le processus est encore loin d’être terminé.

C’est une initiative qui risque de changer une habitude de l’industrie du jeu vidéo ! Vous en avez probablement entendu parler ces derniers mois car elle a pris une ampleur inattendue, c’est la pétition Stop Killing Games. Loin d’être une simple réclamation partagée par un internaute sur Change.org, elle s’adresse directement à l’Union européenne. Son objectif est simple : forcer les éditeurs à laisser leurs jeux vidéo avec une connexion obligatoire dans un état jouable, même après avoir fermé les serveurs. La collecte des signatures s’est conclue il y a quelques semaines, mais cela ne signifie pas pour autant que l’initiative deviendra loi bientôt…


Une pétition pour sauver les jeux

Personne ne reste sur le même jeu toute sa vie. On l’achète, on y joue puis on le finit ou on s’en lasse. Mais cela ne veut pas forcément dire que ce jeu devrait être jeté aux oubliettes, simplement parce que le nombre de joueurs en ligne s’est tari. C’est pourtant ce qu’il s’est passé avec le jeu de course The Crew, devenu complètement injouable en mars 2024 après qu’Ubisoft a fermé ses serveurs, 10 ans après sa sortie.

Pour le youtuber Ross Scott (AccursedFarms sur Youtube), ce cas était l’exemple le plus marquant d’un risque qu’il dénonçait depuis de nombreuses années. Il passe alors à l’action, crée le site StopKillingGames.com et lance plusieurs appels aux joueurs du monde entier, pour les inciter à défendre leurs intérêts. En juillet 2024, il est à l’origine d’une Initiative Citoyenne Européenne intitulée Stop Destroying Games (même si son nom n'apparaît pas officiellement sur la page internet). Un an après son lancement, la pétition a franchi le 3 juillet 2025 le seuil d’un million de signatures requis par la Commission européenne, portée par un nouvel élan de soutien en juin.

Ross Scott a passé plus d’une année à présenter l’initiative sur ses lives et à publier des nouvelles de toutes ses démarches sur sa chaîne Youtube, afin d’éclaircir le plus possible les objectifs de Stop Killing Games. Comme il est expliqué sur le site de l’UE, l’initiative demande d’imposer aux éditeurs l’obligation de laisser ces jeux vidéo dans un état fonctionnel,” c'est-à-dire qu'ils doivent être jouables. Le document précise également qu’il ne “vise pas à acquérir la propriété” des jeux, ni "ne s’attend à ce que l’éditeur consacre des ressources aux jeux vidéo qu’il aura abandonnés tout en les laissant dans un état raisonnablement fonctionnel." Stop Killing Games suggère par exemple la mise en place de serveurs privés autorisés par les éditeurs et gérés par les joueurs, sans vouloir imposer une modération ou un support officiel.

Ces objectifs ont résonné avec le public puisque l’initiative citoyenne a réussi à récolter plus de 1 445 000 signatures. Des joueurs du monde entier ont tenu à signer la pétition, mais seules les signatures des citoyens européens seront retenues dans le décompte officiel. Des développeurs indépendants, comme Notch, créateur de Minecraft, ou le studio Owlcat Games, à l’origine de Pathfinder et Warhammer 40,000: Rogue Trader, ont soutenu cette initiative. Elle a également reçu l’appui de responsables politiques, tels le député européen Nicolae Ștefănuță qui avait lui aussi apporté son soutien.

Plus d’un million de joueurs disent non à la mort programmée des jeux vidéo et ça pourrait bien changer les choses...

Le soutien à Stop Killing Games était large mais pas unanime. Composé d’entreprises liées au milieu du jeu vidéo telles qu’Electronic Arts, Nintendo, Microsoft et 33 autres, le lobby Video Games Europe est l’un des opposants les plus notables à l’initiative. L’organisme a publié un communiqué de cinq pages dans lequel il explique que l’objectif de Ross Scott n’est pas réalisable et blesserai grandement l’industrie. Pour les éditeurs, interrompre les services d’un jeu doit rester une optionlorsqu’une expérience en ligne n’est plus commercialement viable.” Ils rappellent également que “le consommateur n’acquiert pas la propriété du jeu” (il acquiert seulement une licence, ce que la pétition ne conteste pas). Même son de cloche du côté d’Ubisoft, qui fait d’ailleurs partie de Video Games Europe. Dans une assemblée des actionnaires, Yves Guillemot, PDG de l'entreprise française, s’était exprimé au sujet de la pétition : "Rien n’est gravé dans le marbre et à un moment donné, le service peut être interrompu. Rien n’est éternel. (...) Le support de tous les jeux ne peut durer indéfiniment. ” Fait évident que l’initiative Stop Killing Games ne conteste pas, là encore.

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Qu’attendre de l’Union Européenne

Pour qu’une Initiative Citoyenne Européenne soit enregistrée, il faut qu’un groupe constitué d’au moins sept citoyens de l’Union européenne se forme. L’initiative dispose de douze mois pour recueillir un million de signatures et dépasser les seuils minimums de soutien dans au moins sept pays de l’UE. Pour Stop Killing Games, cette période s’est étendue du 31 juillet 2024 jusqu’au 31 juillet 2025. Avec ses 1 448 270 signatures, l’Initiative citoyenne est donc recevable devant l’Union européenne. Cependant, des voix seront très probablement décomptées de ce total. En effet, chaque signature est vérifiée par les autorités compétentes de chaque pays afin de s’assurer qu’aucune personne extérieure à l’Union européenne n’a participé.

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Une fois les signatures vérifiées par les autorités nationales, les organisateurs ont trois mois pour présenter officiellement leur initiative à la Commission européenne, avec les informations sur le soutien et le financement. Dans le mois qui suit, ils rencontrent la Commission pour expliquer leur démarche, puis, dans un délai de trois mois, l’initiative est présentée lors d’une audition publique au Parlement européen. La Commission dispose ensuite de six mois pour donner sa réponse, positive ou négative, et préciser les actions envisagées. Elle n’est cependant pas obligée de proposer une loi et peut se contenter de suggérer des mesures, ce qui ne créerait pas de contrainte légale pour les studios.


L’initiative Stop Killing Games marque un tournant symbolique dans la relation entre joueurs, éditeurs et institutions. Il ne faut surtout pas mettre la charrue avant les bœufs puisque les signatures n’ont pas encore été vérifiées. La balle sera ensuite dans le camp de la Commission européenne, qui est souvent engagée dans des bras de fer commerciaux et technologiques afin de faire valoir les droits des consommateurs, le dernier exemple en date étant le projet de loi Digital Fairness Act qui compte s’attaquer aux “pratique problématiques” d’entreprises ou d'influenceurs sur internet. Ross Scott a d’ailleurs essayé d’intégrer Stop Killing Games à ce projet de loi, mais rien n’est encore figé dans le marbre. Cette option pourrait même nuire au mouvement, qui risquerait de se diluer dans un projet de loi plus large et moins précis sur les revendications liées aux jeux vidéo.