Kick : La plateforme de streaming controversée entre promesses de liberté et dérives violentes

Titre original : Kick, la plate-forme de streaming de tous les excès ? Après la disparition de Jean Pormanove, retour sur la construction du concurrent de Twitch…

Le décès de Raphaël Graven, connu sous le pseudonyme de Jean Pormanove, est un choc qui secoue le monde du streaming. Comment la mort d’un streamer a-t-elle pu être montrée en live sur Kick, après 12 jours de direct où l’homme de 46 ans a subi des humiliations physiques comme morales ? Retour sur la genèse et les conséquences d’un drame annoncé qui fut considéré comme un divertissement.

Sommaire

  • Kick, la plateforme née avec la promesse de mieux payer et de moins modérer
  • Escalade des dons et de la violence
  • Déflagration politique

Kick, la plateforme née avec la promesse de mieux payer et de moins modérer

Aucun jeu ne peut se jouer sans règles”, dit-on. Dans le monde du streaming, cependant, les règles ont fini par lasser certains streamers ainsi qu’une pelletée de spectateurs. Alors que le petit monde du streaming s’entredévore en 2020, causant la disparition de Mixer, deux entrepreneurs australiens – Ed Craven et Bijan Tehrani – se disent qu’il y a une place à prendre en proposant une véritable alternative à Twitch et à Youtube. Cette dernière, avec Kick, se veut plus favorable aux créateurs en se basant sur deux piliers : un modèle économique plus attractif pour les streamers et une modération moins stricte.

Dans les faits, Kick propose un partage des abonnements avantageux pour le créateur, puisque 95 % de la mise va dans sa poche, contre 50 % pour ce que propose Twitch. En outre, grâce à la puissance financière de Stake, site spécialisé dans les jeux d’argent ainsi que dans les crypto-monnaies fondé par le duo Craven et Tehrani, des deals massifs sont signés. Les plus connus sont ceux de xQc s’élevant à 100 millions de dollars et d’Amouranth à 30 millions de dollars. Cependant, Ed Craven comme Bijan Tehrani savent que les grosses signatures ne font pas tout, Mixer ayant déboursé 30 millions de dollars pour séduire Ninja et 10 millions de dollars pour attirer Shroud sans que cela ne fasse décoller la plateforme de Microsoft. C’est pourquoi qu’en plus de laisser 95 % des revenus liés aux subs aux créateurs, Kick promet d'être beaucoup plus souples que ses concurrents sur ce qui est normalement interdit.

Arrivé à un moment où Twitch durcit ses règles d’utilisation, que ce soit sur le gambling, la violence ou la nudité, Kick promet d’être plus laxiste. Le mot d’ordre ? La plateforme australienne serait “un espace de liberté. Bien sûr, ce positionnement n’est pas seulement idéologique, il tape en fait là où ça fait mal et attire des streamers bannis ou frustrés des règles strictes de Twitch et YouTube. Cette stratégie intéresse rapidement des créateurs sanctionnés ailleurs, à l’image d’Adin Ross, un rebut de Twitch définitivement banni à cause de ses multiples manquements aux règles de la plateforme (discours haineux, comportement jugé dangereux, diffusion de contenu pornographique, etc.). Kick se présente comme un refuge pour ces profils qui ont cette fois-ci tout le loisir de gagner de l’argent en montrant leurs pranks humiliants et autres comportements violents sans risquer de se faire bannir ou démonétiser.

Kick, la plate-forme de streaming de tous les excès ? Après la disparition de Jean Pormanove, retour sur la construction du concurrent de Twitch…

Escalade des dons et de la violence

Adin Ross, xQc, iShowSpeed ouvrent la voie : non seulement les formats chocs – à la frontière de la téléréalité trash – sont autorisés, mais ils rapportent beaucoup d’argent ! Bien qu’il soit difficile de connaître les chiffres réels, certains streamers déclarent gagner environ 300 dollars de l'heure. La promesse du “laisser-faire” de Kick en matière de modération façonne un environnement où les créateurs en quête de monétisation rapide rencontrent une audience avide de sensations fortes, voire malsaines. Le mécanisme pervers de Kick vient surtout des “donation goals” qui récompensent l’escalade de défis toujours plus dangereux ou des “blagues” toujours plus humiliantes.

D’autres noms ont fait les gros titres sur Kick, tels que Xena The Witch, une streameuse qui a tiré gratuitement sur une passante avec un pistolet de paintball, ou encore Jack Doherty, un streamer qui a perdu le contrôle de son véhicule alors qu’il diffusait sur Kick. En France, c’est le collectif “Lokal” qui est souvent pointé du doigt. Regroupant, entre autres, Owen Cenazandotti (Narutovie), Safine Hamadi (Safine) et Raphaël Graven (Jean Pormanove), il s’est spécialisé dans le contenu trash. Jean Pormanove y subissait des humiliations allant de claques à des étranglements, en passant par des actes pouvant être comparés à de la torture, ce qui a poussé le parquet de Nice à ouvrir une enquête en janvier 2025.

Kick, la plate-forme de streaming de tous les excès ? Après la disparition de Jean Pormanove, retour sur la construction du concurrent de Twitch…

Kick ne fait pas que dans le sexe et la violence. En août 2024, Donald Trump, alors en campagne présidentielle, apparaît dans un livestream animé par Adin Ross. L’événement attire plus de 580 000 spectateurs, ce qui prouve la puissance d’audience de Kick et, simultanément, la fragilité des garde-fous.


Déflagration politique

Les garde-fous, parlons-en. Aujourd’hui, les autorités françaises semblent découvrir le contenu problématique mis en avant par Kick. Alors que le parquet ouvre une enquête, Kick dit être “profondément attristé” par la disparition de Jean Pormanove, se dit prêt à “collaborer pleinement avec les autorités” et à “entreprendre une révision complète” de son contenu en France. “Notre priorité est de protéger les créateurs et de garantir un environnement plus sûr sur Kick”, lit-on dans ce message ayant reçu une note de la communauté spécifiant que depuis le début, Kick était au courant.

En France, la ministre déléguée chargée du Numérique, Clara Chappaz, dénonce “l’horreur absolue” et dit avoir saisi l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. Pourquoi l’Arcom n’a rien fait plus tôt, malgré des signalements et un article de Mediapart paru en décembre 2024 dénonçant un business de la maltraitance ? Tout simplement parce que “le gendarme de l’audiovisuel” n’a pas d’autorité sur les plateformes établies hors de France, comme c’est le cas pour Kick. La Ligue des Droits de l’Homme dit avoir saisi l’Arcom en février 2025 et déplore de n’avoir reçu aucune réponse formelle, ce à quoi l’Autorité s’est défendue en pointant un “manquement de Kick”, à savoir l’absence d'informations à propos du représentant légal de l'entreprise dans l’Union Européenne.

Vous l’aurez compris, dans cette triste histoire, différents rouages plus ou moins encrassés ont engendré un drame. Kick peut être accusé d’avoir créé un environnement toxique où la maltraitance rapporte de l'argent, ce qui a encouragé le collectif dont faisait partie Jean Pormanove à aller toujours plus loin dans les actes violents, sous la bénédiction des spectateurs alimentant le système avec des dons et sans que les autorités françaises ne parviennent à stopper la machine. Il reste désormais à voir quels seront les résultats de l’enquête, et s’il y aura des répercussions pour la plateforme Kick.