Il y a 80 ans, John Wayne aurait sèchement recadré une star hollywoodienne lors d’une violente dispute, lâchant une réplique devenue légendaire : « Ne parlez plus jamais de cette façon ».

John Wayne et John Ford, c’est l’un des tandems les plus mythiques d’Hollywood. Ensemble, ils ont bâti la légende du western et marqué des générations de spectateurs. Pourtant, la relation entre l’acteur et celui qu’il appelait affectueusement "Papy Ford" n’a pas toujours été simple. Derrière les chefs-d’œuvre, il y eut aussi des tensions, parfois violentes. En 1944, sur le tournage des Sacrifiés, une altercation restée célèbre faillit briser leur complicité.

Un projet au dela film de propagande

En pleine Seconde Guerre mondiale, Ford ne se contente pas de tourner des fictions : il s’engage dans l’unité filmique du Bureau des services stratégiques, réalisant des documentaires militaires. Lorsque Hollywood lui propose d’adapter l’histoire du lieutenant de marine John Bulkeley, héros des Philippines, Ford accepte, mais avec une exigence : que le film soit plus qu’un banal outil de propagande. Il passe des jours entiers avec Bulkeley pour saisir chaque détail de son vécu.

John Wayne (gauche) et Robert Montgomery (droite)

Par respect pour les règles militaires, Bulkeley devient à l’écran le lieutenant John "Brickley". Pour l’incarner, Ford choisit l’acteur Robert Montgomery, qui avait réellement servi sous ses ordres. Pour son second, le colérique lieutenant Ryan, le réalisateur pense d’abord à Robert Taylor, indisponible. Finalement, il se tourne vers son ami John Wayne.

Un salut humiliant

Le tournage débute à la MGM. Très vite, une scène apparemment anodine prend une tournure explosive. Montgomery et Wayne, filmés de dos, doivent se contenter de saluer leur supérieur. Ford multiplie les prises, trois au total, sans jamais expliquer pourquoi. Les acteurs s’interrogent, puis la sentence tombe. D’après Montgomery, qui relate l’épisode dans À la recherche de John Ford, Ford explose devant l’équipe :

Duke ! Tu ne peux pas réussir un salut qui donne au moins l'impression que tu as été dans l'armée ?

Un coup de massue pour Wayne. L’acteur avait tenté de s’engager, mais avait été recalé : à 34 ans, père de quatre enfants, il était considéré comme indispensable à sa famille. Republic Pictures, qui tenait sa star sous contrat, tenait aussi à le garder loin du front. Cette pique publique le blesse profondément. Furieux, Wayne quitte le plateau. Robert Montgomery, témoin direct et président de la Guilde des acteurs, ne laisse pas passer l’humiliation :

"C'était scandaleux, bien sûr. 'Je suis allé jusqu'à Ford, j'ai mis mes deux mains sur les bras de son fauteuil et lui ai dit : "Ne parlez plus jamais de cette façon à personne".". La réaction de Ford ? D’abord la colère' : "Je ne vais pas faire d' excuses à ce fils de pute !" Puis le déni : "Qu'est-ce que j'ai dit ? Je ne voulais pas blesser ses sentiments." Enfin, contre toute attente, les larmes'''.

Réconciliation et héritage

L’incident aurait pu dégénérer, mais Ford et Wayne finiront par se réconcilier. Montgomery prend même le relais sur certaines séquences, recevant un compliment rare de Ford : "Je ne peux pas dire où mon travail finit et où commence le vôtre." Ford avait accepté de réaliser Les Sacrifiés à une condition : ne pas toucher de cachet personnel, reversant l’intégralité de sa rémunération à un fonds caritatif pour les militaires. Le film, au-delà de la querelle, reste l’un de ses plus grands témoignages sur la guerre.