Les Diables : le chef-d'œuvre maudit de Ken Russell, censuré et invisibilisé pendant plus de 50 ans

Titre original : Il y a 54 ans, ce chef-d'œuvre maudit, classé X à sa sortie, était rendu invisible par son studio

Dans l’histoire du cinéma, on a connu tout un tas de longs-métrages épinglés pour leur caractère provocant. Au début des années 1970, ce film, considéré comme le chef-d’œuvre de ce réalisateur, a connu un destin tragique. Lâché par la société de production, le long-métrage a même écopé d’une classification X, a même titre que certaines créations pornographiques, qui lui a valu une invisibilité totale. Avec le recul, certains cinéastes ont dénoncé un acte de censure à l’encontre de ce film !

Ce chef-d'œuvre des années 70 a été jugé pornographique, et ça l’a mené à sa perte

Il y a cinquante-quatre ans de cela, en 1971, le réalisateur britannique Ken Russell signait avec le long-métrage Les Diables (The Devils, en version originale) l’un des films les plus sulfureux de l’histoire du cinéma. Inspiré du livre d’Aldous Huxley, Les Diables de Loudun, l’œuvre retrace un épisode réel du XVIIe siècle : l’affaire des possédées de Loudun. À l’époque, le prêtre Urbain Grandier, figure influente de la ville fortifiée, attise le désir de plusieurs religieuses ursulines. Accusé de sorcellerie et d’avoir ensorcelé les nonnes, il est condamné au bûcher, dans un contexte où le cardinal Richelieu cherche à asseoir son autorité. Ce matériau historique, déjà chargé de tensions politiques et religieuses, est abordé par Ken Russell avec une radicalité qui choquera immédiatement.

Il y a 54 ans, ce chef-d'œuvre maudit, classé X à sa sortie, était rendu invisible par son studio

Le cinéaste, fervent catholique, mais provocateur dans sa mise en scène, avait alors déclaré : « Ce n’était pas un film pornographique... Pour moi, il traitait du lavage de cerveau, de la prise de pouvoir par l’État. » De son côté, l'acteur Oliver Reed, qui incarne Urbain Grandier, résumait le projet d’une manière très simple et claire : « Le film parle de gens tordus. » Du côté de la société de production United Artists, qui avait initialement approché Ken Russell, on a préféré se retirer, jugeant le scénario trop controversé. Warner Bros. décide alors de reprendre le projet, mais la décision allait s’avérer lourde de conséquences. Dès sa sortie, le film fut classé X au Royaume-Uni et aux États-Unis, interdit dans plusieurs pays — la Finlande ne leva son veto qu’en 2011 — et réduit à des versions expurgées. Certaines séquences, notamment la fameuse scène du « viol du Christ », furent bannies.


Le film Les Diables s’est battu pendant des décennies pour obtenir la reconnaissance qu’il méritait

Malheureusement pour Ken Russell, la vie du film ne s’arrêta pas à la censure initiale. Pendant très longtemps, Warner Bros. refusa catégoriquement de proposer une version intégrale, contribuant à rendre Les Diables pratiquement invisible. En 2002, des images perdues furent retrouvées, permettant une restauration en 2004 qui fut ensuite projetée dans certains festivals mais toujours privée de diffusion officielle. Même lorsqu’une version éditée fit brièvement son apparition sur iTunes en 2010, elle fut retirée trois jours plus tard. Pour que les choses bougent réellement, il a fallu que le réalisateur et son film patientent jusqu’en… 2012, date à laquelle le British Film Institute a obtenu l’autorisation d’éditer un coffret DVD de la version britannique.

Il y a 54 ans, ce chef-d'œuvre maudit, classé X à sa sortie, était rendu invisible par son studio

Plus récemment, en 2024, l’intégration du film dans le catalogue Criterion a offert une meilleure accessibilité. Malheureusement, cette avancée intervient après une bataille qui a duré plus de cinquante ans… Face à cette forme de censure autour du film, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer cette situation, à commencer par Guillermo del Toro. En 2014, le cinéaste accusait directement Warner Bros. de maintenir une véritable censure : « Ce n’est pas un hasard. Ce n’est pas par manque de demande. C’est un véritable acte de censure. » Dans sa déclaration, il rappelait que la version intégrale ne pouvait être projetée en Angleterre qu’à condition d’être présentée comme une séance éducative, même si, aujourd’hui encore, on colle toujours cette image de film maudit au long-métrage de Ken Russell…