Analyse du rachat d'Electronic Arts : enjeux, acteurs et conséquences pour l'industrie du jeu vidéo

Titre original : Qui est derrière le rachat d'Electronic Arts et qu'est-ce que ça veut dire pour le jeu vidéo ?

Depuis plusieurs années, l’industrie du jeu vidéo connaît des mouvements de consolidation spectaculaires. Qui a oublié les 70 milliards de dollars dépensés par Microsoft pour mettre le grappin sur Activision Blizzard King en 2023 ? Cette semaine, ce sont les fonds d’investissement qui croquent Electronic Arts. Qui sont-ils, mais surtout, que veulent-ils ?

Sommaire

  • Des fonds d’investissement vraiment intéressés par les jeux vidéo ?
  • Qui sont le PIF, Silver Lake et Affinity Partners, les futurs propriétaires d’EA ?
  • Que veulent vraiment ces fonds d’investissement ?
  • Qu’est-ce que ça peut changer pour EA ?

Des fonds d’investissement vraiment intéressés par les jeux vidéo ?

Vous avez découvert la nouvelle en même temps que nous : Electronic Arts, un des éditeurs de jeux vidéo les plus anciens du marché, va être racheté au prix de 55 milliards de dollars par un consortium d'investisseurs. En l'occurrence ici, trois fonds d’investissement : le PIF, Silver Lake et Affinity Partners. Derrière ces noms qui sonnent presque comme des studios de jeux vidéo, nous retrouvons des groupes qui touchent de près ou de loin – voire pas du tout – le monde vidéoludique. Tout d'abord, il y a le PIF, le fonds d’investissement d’Arabie saoudite qui depuis quelques années diversifie ses investissements en misant sur le jeu vidéo et l’e-sport, via Savvy Games Group.

Le PIF ne semble pas laisser de place au hasard. Il a acquis le studio spécialisé dans le jeu sur mobile Scopely (Monopoly Go), et a pris des parts auprès de divers mastodontes du secteur, tels que Nintendo, Koei Tecmo, Capcom, Nexon ou encore Embracer Group. Silver Lake est surtout connu pour avoir injecté des centaines de millions de dollars dans le moteur de jeu Unity, jusqu’à en devenir l’actionnaire majoritaire. Affinity Partners, enfin, n’est pas connu pour son intérêt dans les univers virtuels.

Qui est derrière le rachat d'Electronic Arts et qu'est-ce que ça veut dire pour le jeu vidéo ?

Qui sont le PIF, Silver Lake et Affinity Partners, les futurs propriétaires d’EA ?

Sur le papier, ce consortium – où 2/3 des fonds représentés ont une expérience dans le monde du gaming – est censé apporter “une solide expérience sectorielle”, “des capitaux”, ainsi que “des réseaux dans les domaines du jeu vidéo, du divertissement et du sport”. Alors, pourquoi les joueurs affichent autant de méfiance envers les futurs propriétaires d’Electronic Arts ? Après tout, la société américaine n’est pas forcément connue pour la liberté créative donnée à ses équipes ou pour sa prise de risque.

En ce qui concerne le fonds souverain du royaume d'Arabie saoudite, qui est un fonds d’Etat, certains joueurs craignent que ce rachat ne mène à des pressions sur le contenu des productions d’EA. L’Arabie Saoudite est régulièrement épinglée pour son bilan en matière de droits humains et divers observateurs voient ces investissements dans le jeu vidéo comme une manière de redorer le blason du royaume.

Qui est derrière le rachat d'Electronic Arts et qu'est-ce que ça veut dire pour le jeu vidéo ?

Affinity Partners, jusqu’à présent indifférent aux loisirs vidéoludiques, est un fonds dirigé par Jared Kushner, qui n’est autre que le gendre de Donald Trump. Ce groupe, dont les ressources financières viennent majoritairement du gouvernement saoudien, fait l’objet de diverses controverses allant du potentiel conflit d’intérêt aux projets immobiliers douteux.

De son côté, Silver Lake est connu pour ses méthodes parfois jugées brutales, n’hésitant pas à licencier à tour de bras pour mettre au point des “stratégies” de réductions de coûts. Dernière victime en date, l’entreprise Qualtrics (spécialisée dans la gestion d’expérience), qui a vu 15 % de son personnel licencié sept petits seulement mois après son rachat par Silver Lake.

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Que veulent vraiment ces fonds d’investissement ?

Pour mieux comprendre ce que signifie le rachat d’EA par ce consortium, il faut aller à la source. Un fonds d’investissement est une société dont le but est d’investir de l’argent dans une autre société pour la revendre plus cher après une certaine période. Contrairement à des acheteurs classiques que sont Amazon, Microsoft ou Sony, les fonds d’investissement n’ont pas pour vocation de diriger les sociétés qu’ils achètent. Ils ont une logique financière, car ils veulent revendre ces entreprises dans un horizon de temps relativement court, avec bien évidemment une jolie plus-value. Autrement dit, un fonds d’investissement applique un pur raisonnement financier. Il est là pour faire de l’argent, augmenter la rentabilité et utiliser tous les leviers à sa disposition pour maximiser le futur prix de cession. Il y a néanmoins un point qu'il ne faut pas mettre de côté, à savoir l'envie de ces groupes de se servir du jeu vidéo pour du soft power.

Néanmoins, il est bon de rappeler que le PIF est un fonds souverain, il n'a donc pas de souscripteurs à contenter avec une revente. De plus, avec un prix d’achat très élevé par rapport aux bénéfices d'exploitation d’EA, le prix du nouvel EA façonné par ces fonds pourrait atteindre une valeur tellement élevée qu’il n’y aurait tout simplement pas de candidat pour le reprendre. Alors, que veulent ces fonds si la revente n’est pas en ligne de mire ? C’est simple : développer leur influence et gagner de l'argent via des montages financiers (possiblement du réendettement).

Ce qui est certain, c’est que ces fonds n’ont pas pour habitude de remplacer les dirigeants qui tiennent les rênes de la bête : ils ont besoin du management pour la partie opérationnelle. C’est pour cette raison que EA conserve son siège social à Redwood City, en Californie, et continuera d'être dirigé par Andrew Wilson en tant que PDG. Si un fonds a des doutes quant aux équipes dirigeantes, il ne mise tout simplement pas dessus, et c’est compréhensif puisque ces groupes détiennent de multiples entreprises. À titre d’exemple, Blackstone détient plus de 250 entreprises opérant dans des domaines multiples, dans son portefeuille.

Qui est derrière le rachat d'Electronic Arts et qu'est-ce que ça veut dire pour le jeu vidéo ?

Qu’est-ce que ça peut changer pour EA ?

Approuvé par le conseil d'administration d’EA, ce rachat doit encore recevoir l’approbation des actionnaires de l’entreprise. Une OPA va être mise en place permettant aux actionnaires minoritaires de revendre leurs actions à un prix au-dessus du cours actuel. La côte sera ensuite retirée de la bourse et l'actionnariat deviendra totalement privé. Cela pourrait permettre à Electronic Arts d’avoir moins de pression venant des marchés, peu importe ce que décide de faire la société. Théoriquement, se faire racheter par un fonds d’investissement peut donner la possibilité de croître tout en conservant, pendant un certain temps, son indépendance. Cependant, au niveau des décisions artistiques, la marque peut être “aiguillée” par ceux qui la détiennent, quand bien même les exemples ne seraient pas forcément nombreux. EA se targue de créer "des histoires et des expériences incroyables qui parlent aux publics du monde entier et qui ont un impact dans les communautés dans lesquelles nous vivons, travaillons et jouons". Il reste à voir si cette philosophie continuera.

Qui est derrière le rachat d'Electronic Arts et qu'est-ce que ça veut dire pour le jeu vidéo ?

Si Electronic Arts peut grossir, il peut aussi se voir amputé de ses studios les moins performants. Il est évident que tous les regards sont tournés vers BioWare dont le futur Mass Effect tarde à venir et qui a vu son Dragon Age : The Veilguard peiner à rencontrer son public. Nous savons que les futurs propriétaires d’EA font les yeux doux à l’IA afin de réduire les coûts de production. Andrew Wilson lui-même vantait les mérites de l’intelligence artificielle à la GDC 2025. Les grands esprits sont faits pour se rencontrer… et s’assembler, n’est-ce pas ? Comme le précise EA dans son communiqué officiel, le rachat sera financé par un emprunt de 20 milliards de dollars. Cette dette, c'est le "nouveau" Electronic Arts qui devra la rembourser, ce qui laisse augurer des mesures économiques particulièrement agressives.