The Matrix est un œuvre culte, profondément ancré dans le changement de millénaire. Effets spéciaux révolutionnaires, discours sur l’humanité et la technologie, esthétique hyper-marquée sont autant d’éléments qui ont fait des films des sœurs Wachowski des incontournable. Pourtant, une œuvre vit désormais injustement dans son ombre.

The Invisible : un discret chef-d'oeuvre qui a infusé toute la culture pop

Au milieu des années 1990, le scénariste écossais Grant Morrison lançait The Invisibles, une bande dessinée publiée sous le label Vertigo de DC Comics. Son ambitions était claire : bouleverser la culture et les consciences, rien que ça. Pour Grant Morrison, ce projet n’était pas une simple fiction, mais un « hypersigil ». Derrière ce terme un peu mystérieux se cache un concept à la limite de l'ésotérisme. Il s'agit d'un sort magique, matérialisé sous la forme d'un récit et qui combine des idées, des expériences, des éléments mystiques et des symboles.

Son but est de transformer la perception du monde des lecteurs, faisant d'eux une part "active" de l'oeuvre et des changements. Ce comic, qui même autobiographie et ésotérisme, proposait une vision dans laquelle la narration elle-même devenait un outil de transformation intérieure. Or, ce qui n’était sans doute pas prévu par l’auteur, c’est que cet univers si particulier allait, quelques années plus tard, infuser des pans entiers de la culture populaire, jusqu’à inspirer sans que cela ne soit jamais admis, plusieurs aspects de The Matrix, le film culte des sœurs Wachowski.

Thèmes philosophiques, iconographie, affrontement entre illusion et réalité : les similitudes ne manquent pas. Morrison, adepte d’une écriture transgressive et symbolique, voyait dans The Invisibles une œuvre capable d’agir sur la réalité elle-même. On pourrait y voir la manifestation d'un ego surdimensionné, mais les diverses interview accordées par Grant Morrison indiquent qu'il croit vraiment en cette idée d'hypersigil.

Plagiat ou inspiration, qu'importe : The Invisibles est très clairement au coeur de Matrix

Des années plus tard, lors d’un entretien avec Patrick Neighly et Kereth Cowe-Spigai pour l’ouvrage 'Anarchy for the Masses : A Disinformation Guide to The Invisibles', Morrison revint sur ce moment où il prit conscience que son œuvre avait dépassé le cadre de la "niche" pour s’imposer dans la culture dominante. Il expliqua avoir ressenti une étrange forme de dépossession : selon lui, des thèmes autrefois marginaux, à savoir des résistants affrontant des forces occultes, des élus conscients de dimensions cachées, étaient soudain devenus des clichés, repris par d’autres médias :

J'ai soudainement eu l'impression que mon territoire était envahi. Personne n'avait jamais fait ça dans les bandes dessinées ou dans la culture pop. Ça avait toujours existé dans l'ombre, parce que c'est de là que je venais. Mais tout à coup, c'était partout et on avait l'impression que les gazelles étaient venues à notre point d'eau et buvaient notre eau. (...) Parce que... la bande dessinée était en train de devenir un ensemble de clichés : vous savez, ce groupe qui s'opposait à des forces étranges venues d'autres dimensions. Les initiés qui se dressaient entre nous et le côté obscur. Beaucoup de ces choses ont commencé à apparaître. The Invisibles était sur le plateau (de Matrix). Des personnes qui étaient là me l'ont dit. (Les Wachowski) sont des fans de bandes dessinées. Elles étaient particulièrement fans de Vertigo.

L’auteur évoque ainsi présence d'exemplaires de The Invisibles sur le plateau de Matrix, confirmée par plusieurs témoins, et rappela que les Wachowski étaient de grandes lectrices de comics Vertigo. Si Morrison n’a jamais engagé de démarche juridique comme le fit Harlan Ellison après Terminator, on comprend qu’il aurait souhaité une reconnaissance plus explicite de l’influence qu’a exercée son œuvre sur la SF et sur Matrix en particulier. Aujourd’hui encore, les parallèles entre The Invisibles et The Matrix continuent d’alimenter les discussions.

Il faut dire qu'au-delà des thèmes abordés, un des personnages de The Invisible ressemble fortement à Morpheus. Morpheus qui agit d'ailleurs avec Neo comme le personnage King Mob agit avec Jack Frost : aider à la prise de conscience de "l'élu" afin qu'il deviennent le leader d'une force de résistance. Dans les deux œuvres, on retrouve aussi des personnages capables de transcender les limites biologiques de l'être humain, de voyager à travers différentes dimensions grâce à une technologie de pointe, et des scènes d'action de kung-fu...