Vous pensez que le Game Pass est le coupable de tous les maux dans l’industrie du jeu vidéo ? Que lui et le PS+ détruiraient la valeur de nos jeux en proposant “gratuitement” diverses expériences vidéoludiques dans leur catalogue ? Vous vous trompez. Le réel ennemi lié à l’impasse dans laquelle se trouvent certains éditeurs/développeurs est différent : il a piégé les joueurs dans des mondes à l’intérieur desquels ils n’arrivent plus à sortir.
Des miettes pour les autres
Si nous pouvions faire un bilan de ces trois dernières années, ce serait le suivant : la période post-COVID n’ayant pas respecté ses promesses en matière de consommation de jeux vidéo, les géants de l’industrie ont supprimé des dizaines de milliers d’emplois afin d’afficher des performances en accord avec celles attendues par leurs actionnaires. Des jeux faits par des petits studios sont devenus des phénomènes alors que de gros AAA ont peiné à trouver leur public. Contre toute attente, les expériences très ciblées, que l’on pourrait qualifier “de niche”, ont pris de plus en plus régulièrement le dessus sur des projets coûteux imaginés pour satisfaire “une masse”. En parallèle, une autre guerre a fait rage, celle des jeux service. Les constructeurs comme les éditeurs savent qu’ils peuvent rapporter gros. Malheureusement, à ce petit jeu du service, il y a plus de retours perdants que de gagnants. Concord, Babylon’s Fall, XDefiant, Crash Team Rumble, New World… les exemples où les GAAS ont sombré sont nombreux, peu importe l’éditeur (Sony, Square Enix, Ubisoft, Activision,, Amazon, etc.).

Le problème, néanmoins, est moins le jeux service ayant échoué que celui qui a réussi tout écrasé. D’après une récente étude faite par Matthew Ball (Epyllion) accessible ici, Roblox compte plus d'heures d'engagement mensuel que toutes les consoles ou plateformes dédiées aux jeux. Dans l’analyse, le constat fait froid dans le dos : d'après les données enregistrées sur Steam en 2024, cinq franchises fortes, Call of Duty, Counter Strike, Fortnite, League of Legends et Minecraft, ont représenté en moyenne 30 % du temps de jeu des joueurs pendant… quatre années consécutives ! Sur PlayStation et Xbox, avec Call of Duty, FIFA/EA FC, Fortnite, GTA et NBA, la moyenne est de 43 %. L’autre information à retenir pour bien comprendre le paysage vidéoludique d’aujourd’hui, c’est qu’en excluant les sorties annuelles mais en incluant les suites, seulement 6,5 % du temps de jeu en 2023 fut consacré à de nouvelles productions sur PC, Xbox et PlayStation. Oui, les nouveautés se battent pour moins de 10 % du temps de jeu des joueurs ! En 2023, la moitié de ce pourcentage était pris par Diablo IV, Hogwarts Legacy, Baldur's Gate 3 et Starfield, ne laissant que des miettes aux autres.

Jeux vidéo 3.0
Ces jeux service – devenus tellement énormes qu’ils sont plus puissants que des plateformes de jeu – ont développé tout un tas d’outils pour s’assurer la fidélité des consommateurs. Les joueurs ont leurs amis, leurs habitudes, leur contenu généré, leurs récompenses journalières… tout est mis en place pour transformer le jeu en réseau social qui récompense le fait de ne pas aller voir ailleurs. Si nous ajoutons à ces informations le fait que développer des gros jeux solo AAA coûte très cher (dans les 250 millions d’euros), nous comprenons aisément le problème de nos géants du jeu vidéo. S’ils se ratent sur un AAA, ils peuvent ne plus s’en relever.

Voir Call of Duty : Black Ops 6 PS5 sur Fnac
Interrogée chez PC Gamer, Meghan Morgan Juinio, ancienne directrice du développement produit chez Santa Monica Studios (God of War), déclare qu’elle pense que le modèle n’est plus viable. “Il y a eu énormément de licenciements (...) et c'est clairement dû aux coûts minimums extrêmement élevés. Les coûts de développement vont obliger les grands éditeurs à créer de nouvelles voies”, assure-t-elle. “Est-ce que cela signifie qu'un jeu comme God of War va disparaître ? Je ne pense pas. Mais je crois qu'on va commencer à voir apparaître des jeux de catégorie AA ou A chez les grands éditeurs également. Car le modèle actuel n'est pas viable”, ajoute-t-elle. Pour le moment, même si Sony fait de gros investissements dans les jeux service, l'entreprise japonaise affirme vouloir continuer à mettre ses billes dans les jeux solo AAA.

Fortnite a définitivement tout changé
Du côté des réseaux sociaux et dans les commentaires d’articles, il n’est pas rare de voir certains utilisateurs pointer du doigt le Game Pass, ou le PS+ dans une moindre mesure. Ces services seraient “mauvais pour l’industrie”, ils diminueraient “la valeur des jeux”, ils forceraient les studios “à faire de la quantité plutôt que de la qualité”, bref, ils feraient chuter l’intérêt des expériences “premium”. Certains développeurs ont fait entendre leurs craintes à propos du Game Pass, tandis que d’autres ont reconnu profiter de cette proposition. Il y a quelques jours, Alex Hutchinson, papa de Revenge of the Savage Planet, regrettait chez FRVR que la concurrence ne se fasse plus seulement avec les nouveaux jeux, mais aussi et surtout avec les anciens softs. “Maintenant, avec la rétrocompatibilité, les services d'abonnement, les jeux offerts, les jeux gratuits, et le catalogue de jeux toujours disponible sur Steam (...) il est très difficile de se démarquer”, regrettait-il. Game Pass ou non, la proposition est simplement devenue énorme : on estime qu’environ 1 200 nouvelles productions sortent sur Steam tous les mois, pour une part du gâteau minuscule, en particulier à cause des jeux service les plus anciens.

“Le fait que les 10 jeux en ligne les plus populaires accaparent près de la moitié de toutes les heures de jeu sur les écosystèmes PS et Xbox, avant même que tout autre jeu puisse en profiter, représente à mon avis une menace bien plus importante que le modèle d'abonnement”, analyse Mat Piscatella de Circana (ex NPD). Il ajoute sur BlueSky : “Je finis toujours par dire : ‘le principal concurrent de tout nouveau jeu ou service, c’est Fortnite. Comparé à ce que font Fortnite, Minecraft, Roblox, etc., rien d’autre n’a vraiment d’importance’". De sages paroles qui méritent d’être méditées.