Frankenstein de Guillermo del Toro : Une Réinvention Audacieuse et Émotionnelle du Mythe Classique

Titre original : Frankenstein sur Netflix ne respecte pas l'histoire originale et j'ai adoré ça !

En revisitant Frankenstein, Guillermo del Toro fait bien plus qu’un simple hommage : il ranime un monument du fantastique avec la tendresse d’un poète et la rage d’un créateur

Le mythe revisité par Guillermo del Toro

En 1931, le Frankenstein de James Whale définissait l’imagerie du monstre dans la culture populaire. Les lecteurs mettaient désormais un visage carré assorti de boulons sur le nom qu’ils lisaient dans les pages du roman culte de Mary Shelley. Le personnage s’érigeait en victime pathétique, froide et enfantine, loin de la sensibilité et de l’éloquence que possédait la créature de l’autrice. Quatre-vingt-quatorze ans et une centaine d’adaptations plus tard, Jacob Elordi campe - avec exception - un protagoniste presque séduisant, plus proche du matériau d’origine. Intelligent et doué de conscience, le Frankenstein de Guillermo del Toro n’est pas monstrueux par essence : c’est le regard des hommes et le rejet de son créateur qui le rendent violent. Là où Shelley dénonçait la démesure scientifique et le péché d’orgueil, le cinéaste choisit la rédemption et la compréhension : son Créature ne tue que pour se défendre.

Le réalisateur s’accorde d’autres libertés à travers différents pans de l’histoire, mais toujours avec la volonté de rendre hommage à Shelley. Il déplace l’action à l’époque de la guerre de Crimée, transformant la quête scientifique de Victor en une parabole sur la folie guerrière et les profiteurs de conflit. Le cinéaste introduit un nouveau personnage, Henrich Harlander (Christoph Waltz), mécène corrompu et malade qui veut transférer son cerveau dans la Créature, métaphore des forces financières qui manipulent les artistes. La famille Frankenstein devient plus sombre : le père, rebaptisé Leopold, est un tyran violent, et Elizabeth (Mia Goth), inspirée de Shelley elle-même, est une intellectuelle indépendante promise à un autre, mais fascinée par la Créature.

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Un hommage réussi et dans le respect

J’estime qu’il n’est jamais nécessaire, pour un réalisateur adaptant une œuvre littéraire, de reproduire fidèlement chaque rouage du récit, surtout lorsqu’il en existe déjà de multiples dérivés. Au contraire, il est plus admirable d’apprécier les réécritures subtiles et les visions d’un artiste capable de rendre hommage sans dénaturer, tout en ajoutant sa propre magie.

J’ai lu dans un article que Guillermo del Toro trahissait l’essence du Frankenstein de Mary Shelley en modifiant « la meilleure partie » du roman : le mystère de la création. Là où Shelley choisissait de ne jamais révéler comment Victor Frankenstein donne vie à sa créature, privilégiant la réflexion morale sur la responsabilité du savant face à son œuvre, le cinéaste mexicain expose le processus dans le détail. La journaliste estime que Del Toro transforme ainsi un récit intime et philosophique en un spectacle visuel foisonnant, moins humain et subtil que celui imaginé par Shelley.

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Pourtant, on ressent chez Del Toro un amour profond pour la Créature, ainsi qu’une volonté sincère d’explorer la dynamique puissante qu'elle entretien avec son créateur. Le fait qu’il puisse reprendre une histoire aussi connue, lui donner une nouvelle tournure et en faire un film aussi réussi prouve qu’il demeure un véritable maître des monstres. Il me semble donc bien excessif d’évoquer une trahison ; c’est même, selon moi, un parti pris audacieux. En revanche, cette première partie du film est probablement la moins captivante à mon goût. Je n’ai été vraiment happée qu’à partir des premières apparitions du monstre et de ses élans de vie. Sa fabrication a peu d’intérêt comparée au discours profondément philosophique qui s’ensuit, lors de sa “naissance complète”.

Mais tout de même, il n’y a rien de plus fascinant que de découvrir l’essence qu’un nouvel auteur insuffle à une œuvre mythique. À part peut-être quand c’est Dan Allen qui réalise Bambi: The Reckoning et transforme le cerf emblématique du roman en pitoyable machine de chasse et de vengeance. Ma dernière prise de risque favorite reste The Ugly Stepsister, une réécriture moderne et psychologique du célèbre conte de Cendrillon version body horror : l’histoire reprend les grands éléments du conte - la belle jeune fille, les demi-sœurs, le bal et le prince - mais vue du point de vue de l’une des “méchantes” demi-sœurs, qui ingère un ver solitaire dans une tentative étrange d’approcher la beauté qu’elle n’a pas. Bref, tout ça pour dire qu’en revisitant le mythe avec sa sensibilité unique, Guillermo del Toro ne se contente pas de ressusciter un monstre : il lui redonne une âme, loin de toute relecture aseptisée ou académique. Et c'est la meilleure chose à faire.