Notre pays a beau être l’un des plus grands consommateurs d’animation japonaise à travers le monde, plusieurs œuvres emblématiques n’ont jamais franchi ses frontières. Ce fut le cas de L’œuf de l’ange réalisé par Mamoru Oshii en 1985. Durant 40 ans, les fans français ont pris leur mal en patience. Fort heureusement, ce film de science-fiction imaginé par les créateurs de Ghost in the Shell et Final Fantasy débarque en salles le 3 décembre 2025. J’ai eu la chance de le voir en avant-première. Ce fut une expérience unique en son genre.
Une première en France après 40 ans
L’Œuf de l’ange (1985), réalisé par Mamoru Oshii, est une œuvre singulière dans le paysage de l’animation japonaise. Conçu après l’échec créatif de Dallos menant à une période de remise en question du cinéaste, le film marque une rupture radicale dans sa carrière. Développé en collaboration avec l’artiste Yoshitaka Amano, il se distingue par son esthétique gothique, son absence quasi totale de dialogues et son récit énigmatique. L’histoire suit une jeune fille protégeant un mystérieux œuf dans un monde déserté, croisant la route d’un homme aux intentions mystérieuses. Mamoru Oshii y explore des thèmes métaphysiques (foi, mémoire, sacrifice) qui deviendront centraux dans ses œuvres ultérieures, notamment Ghost in the Shell.

OVNI animé resté longtemps confidentiel, L’Œuf de l’ange bénéficie en 2025 d’une sortie en salles en France, quarante ans après sa diffusion initiale au Japon. Restaurée en haute définition, cette nouvelle version vise à révéler la richesse esthétique et symbolique d’un film qui, malgré sa marginalité, a profondément influencé des générations de créateurs. Cette sortie tardive permet au public français de (re)découvrir un jalon de l’animation nippone, longtemps cantonné aux cercles d’initiés.
Un expérience de SF unique en son genre
Mamoru Oshii fait indubitablement partie de mes réalisateurs préférés, que ce soit dans le domaine de l’animation ou dans celui du 7e Art au sens large. Ghost in the Shell est présent dans mon TOP 5 des meilleurs films de tous les temps (juste derrière Akira, Mad Max : Fury Road, Matrix et Alien) depuis ma plus tendre enfance. J’ai regardé la majorité de ses créations animées (jamais au cinéma malheureusement), exception faite de L'œuf de l’ange. C’est désormais chose faite. Je suis un être comblé.
Tenshi no tamago (天使のたまご) de son titre original n’est pas un film à mettre devant tous les yeux. Son visionnage n’est pas particulièrement difficile, et pourtant il m’a marqué au fer rouge. Nous sommes en présence d’une fable sombre projetée sur grand écran, prenant pour cadre un univers post-apocalyptique désabusé. L’histoire tient en équilibre sur un fil, mais la raison d’être de cette œuvre singulière se trouve ailleurs. Son atmosphère mélancolique, sa direction artistique lugubre, ses visuels qui ont inspiré les imaginaires des futurs grands du manga et de l’animation japonaise ainsi que sa bande originale douce et oppressante en font une expérience unique en son genre, même 40 ans après sa sortie initiale au cinéma.

Je ne saurais précisément dire comment Mamoru Oshii et Yoshitaka Amano sont parvenus à me remuer les tripes, mais ils y sont arrivés. Je suis ressorti de la séance avec une impression étrange, celle de ne pas avoir vu un film, mais d’avoir vécu une aventure introspective. L’absence de dialogues et l'énigmatique fin du récit participent grandement à nous perdre, trop habitués que nous sommes à une structure plus traditionnelle. L'œuf de l’ange débute in media sans prendre le temps d’introduire son univers, et prend fin avec une séquence métaphysique faisant la part belle à l’interprétation. Il se contente de faire évoluer ses personnages au cœur d’un univers souvent allégorique, refusant les tropes scénaristiques. Le sensoriel prévaut ici sur le sens. Telle est la grande force de cet OVNI égal à nul autre.
L'œuf de l’ange est un cadeau fait aux amateurs d’animation japonaise et aux cinéphiles curieux. Il serait dommage (pour ne pas dire préjudiciable) de passer à côté de ce film de SF qui a influencé la pop-culture japonaise et occidentale, et l'influence encore quatre décennies plus tard.