Les Défis de la Triche dans les Jeux Vidéo : Analyse des Cas de Battlefield, Call of Duty et Arc Raiders

Titre original : Après Battlefield et Call of Duty, le cauchemar des joueurs (et des développeurs) s’abat sur Arc Raiders… Pourquoi ?

Comme bon nombre de soldats avant lui, à l’image de Battlefield et Call of Duty, Arc Raiders récolte les fruits de sa popularité en étant confronté à l’un des plus gros problèmes des jeux de tir en ligne : la triche. Les développeurs ont beau plancher sur de puissants outils, le phénomène a du mal à être pleinement endigué parce qu’il est, en réalité, la résultante de facteurs intrinsèques. De son côté, la science a tenté d’expliquer ce qui pousse les joueurs à la triche et ils ont fait émerger des pistes explicatives pour le moins intéressantes !

Battlefield 6, Call of Duty Black Ops 7 et Arc Raiders font face à un ennemi commun : les tricheurs

C’est souvent la même rengaine lors de la sortie d’un nouveau jeu vidéo de tir, encore plus lorsqu’il se base sur une forte dimension compétitive… Qu’ils s’appellent Call of Duty, Battlefield ou Arc Raiders, plus récemment, ils sont tous amenés à faire face à l’un des plus grands cauchemars des joueurs (et aussi des développeurs) : les tricheurs. Avant même leur sortie, ces titres attiraient déjà l’attention de joueurs prêts à contourner les règles. À l’occasion de la bêta ouverte organisée par Electronic Arts sur Battlefield 6, le logiciel anti-triche implanté dans le titre, baptisé EA Javelin, a recensé plus de 330 000 tentatives de triche. En réalité, ce n’était qu’un avant-goût du problème : le lancement officiel n’a fait qu’amplifier le phénomène, malgré les contre-mesures déployées par les développeurs. Depuis ces premiers chiffres, le studio a indiqué que le nombre de tentatives bloquées avoisine désormais les 2,4 millions ! Alors, oui, les chiffres paraissent énormes mais ils sont tout de même à relativiser puisque les équipes de développement ont annoncé, lors de la semaine de lancement, que seulement 2% des parties étaient infectées par des tricheurs. Certes, ils redoublent d’efforts et font des pieds et des mains, même s’ils reconnaissent eux-mêmes l’absence d’une « méthode miracle » tant les tricheurs s’adaptent sans cesse pour arriver à leurs fins.

Après Battlefield et Call of Duty, le cauchemar des joueurs (et des développeurs) s’abat sur Arc Raiders… Pourquoi ?

Call of Duty n’a pas été épargné non plus, comme l’a montré le lancement de Black Ops 7. Dès la bêta, les équipes ont dû mettre leur dispositif, baptisé Ricochet, à l’épreuve, et il a su prouver son efficacité : à l’époque, les rapports ont souligné que 97% des tricheurs avaient été attrapés la main dans le sac lors des trente minutes qui ont suivi leurs connexions. Au-delà de la simple gestion du phénomène en jeu, l’éditeur a choisi de s’attaquer directement à la source du problème. Grâce à cette action, depuis la sortie de Black Ops 6, ce sont 40 développeurs de cheats qui ont été contraints de mettre la clé sous la porte, et « ce n’est que le début » pour reprendre les déclarations d’Activision à ce sujet. Avec un succès aussi massif, il était inévitable que les tricheurs finissent également par s’y intéresser. Outils externes, élimination de joueurs honnêtes, exploitation de bugs et autres glitchs… Ce ne sont pas les techniques qui manquent pour leur permettre de prendre l’avantage, et les équipes d’Embark Studios, elles aussi, ont rapidement pris des mesures pour contrer ces abus. Avec la mise à jour 1.4.0 du jeu vidéo Arc Raiders, les équipes ont doté les salles verrouillées par un système de clé de pièges : si l’un d’entre eux pénètre d’une manière illégitime, il est instantanément… incinéré. Aux grands maux, les grands remèdes comme on dit ! Mais alors, qu’est-ce qui peut bien pousser les joueurs à vouloir tricher sur ces jeux vidéo qu’ils affectionnent tant ? Évidemment, la question ne s’arrête pas là : plusieurs travaux scientifiques se sont penchés sur ce comportement.

Après Battlefield et Call of Duty, le cauchemar des joueurs (et des développeurs) s’abat sur Arc Raiders… Pourquoi ?

La tricherie dans les jeux vidéo, un acte aux significations plus profondes que ce qu’on imagine

Forcément, pour comprendre d’où provient cette envie irrépressible chez certains, il faut aller tirer sur quelques leviers psychologiques. Plusieurs chercheurs du département de la culture numérique de l’université sud-coréenne de Konkuk ont mené une étude (Why Do Some Users Become Enticed to Cheating in Competitive Online Games? An Empirical Study of Cheating Focused on Competitive Motivation, Self-Esteem, and Aggression) sur 329 joueurs de League of Legends pour tenter d’identifier les facteurs psychologiques entrant en ligne de compte dans le processus lié à la triche. Ici, la triche est définie comme « l’acte d’obtenir un avantage déloyal (échange d’argent illégal, piratage de compte, exploitation de bug) ». Premier constat : plus la motivation compétitive d’un joueur est élevée, plus la tentation de tricher augmente. Ils ont aussi souligné que cette tendance à recourir à des techniques de triche est exacerbée par la forte pression et stimulation liée au modèle économique de ces types de jeu où certaines récompenses se récupèrent dans un temps imparti. Concrètement, ces systèmes incitent certains joueurs à tricher pour accélérer la progression et obtenir plus facilement des récompenses. De manière plus intrinsèque, l’agressivité rentre aussi en ligne de compte. Les chercheurs montrent également que certains traits agressifs – comme l’hostilité ou la colère – pèsent encore plus lourd que la compétition dans la propension à tricher. Pour ces joueurs, les programmes illégaux et autres utilisations de bugs et de failles dans le jeu sont des options pour libérer leurs sentiments négatifs ou contrôler la colère liée à la défaite.

Après Battlefield et Call of Duty, le cauchemar des joueurs (et des développeurs) s’abat sur Arc Raiders… Pourquoi ?

En plus de ces facteurs explicatifs, les chercheurs ont également fait émerger deux autres pistes, la première étant liée à l’estime de soi. Lors de la traduction de leurs résultats, les chercheurs se sont aperçus que les joueurs ayant une faible estime de soi sont davantage enclins à recourir à des techniques de triche. C’est donc par ce levier que ces derniers boostent leur propre estime ou réduisent les risques de se confronter à l’échec. Comme évoqué plus haut avec les modèles type battle pass, la triche apparaît ici comme un moyen de réduire le temps et l’effort normalement nécessaires pour progresser. En faisant cela, les joueurs s’assurent un rang élevé et/ou des récompenses rares sans avoir à endurer le même parcours que le joueur de base. Face à ces dérives, les recherches se sont multipliées et apportent d’autres pistes d’explication. Dans un article du Guardian, citant plusieurs travaux, d’autres pistes explicatives sont avancées. Parmi celles-ci, on retrouve le sentiment de droit — certains joueurs ont recours à la triche parce qu’ils estiment qu’ils méritent de gagner ou que l’effort fourni pour atteindre leur but valide le recours à la triche —, l’anarchie et le griefing — certains joueurs trichent pour casser le jeu, ruiner l’expérience des autres ou s’opposer aux développeurs — ou encore la pulsion évolutive. Selon cette approche, le cerveau, d’un point de vue neuroscientifique, chercherait naturellement les raccourcis pour surpasser ses rivaux, sans réellement distinguer entre jeu et réalité.

Après Battlefield et Call of Duty, le cauchemar des joueurs (et des développeurs) s’abat sur Arc Raiders… Pourquoi ?

Cependant, le jeu vidéo lui-même a un rôle à jouer dans l’émergence de la triche puisque la culture vidéoludique elle-même a entretenu très tôt une forme de normalisation de la triche. On se souvient tous de ces fameuses manipulations à effectuer ou ces combinaisons de touche que l’on retrouvait parfois listées dans des magazines de plusieurs dizaines de pages. En parallèle de ces travaux, une autre étude (The influence of psychological needs and motivation on game cheating: insights from self-determination theory) s’est intéressée sur les multiples formes de motivation, opposant la motivation extrinsèque (alimentée par la victoire et les récompenses) qui augmente le degré de triche à la motivation intrinsèque (alimentée par l’intérêt ou le plaisir de jeu) qui, elle, fait chuter ce degré. Finalement, ces différentes études montrent que la triche s’inscrit dans une dynamique à la fois contre le jeu et contre les autres joueurs, offrant un moyen de reprendre le contrôle ou d’affirmer une domination (réduction de la pression sociale, des risques liés à la confrontation, de contrer le sentiment d’injustice (mauvais matchmaking, déséquilibre, mécanismes de pay-to-win), d’amoindrir le grinding et de renforcer l’efficacité (tâches fastidieuses et répétitives, automatisations). Au-delà d’une simple action de jeu, la triche dans les jeux vidéo reste un phénomène complexe, porté par des motivations très diverses, à tel point que chacun à une raison de s’abandonner à ces pratiques. De leurs côtés, les développeurs continueront sans doute à renforcer leurs outils, mais comprendre pourquoi les joueurs effectuent ce passage à l’acte est tout aussi important pour construire des expériences plus équilibrées.