Attendre des mois pour un épisode de jeu vidéo peut être frustrant… mais pas toujours. Dispatch, jeu narratif audacieux d’AdHoc, montre que le format épisodique, quand il est bien pensé, peut transformer l’attente en plaisir.
Les limites du format épisodique dans les jeux vidéo
C’est quelque chose qui m’a souvent agacée : les formats épisodiques dans les jeux vidéo. Une stratégie de sortie risquée et fréquemment ratée, qui met en lumière l’inconsistance et l’inégalité scénaristique de nombreux chapitres de jeux narratifs. Attendre trois mois pour un épisode d’une heure trente, le trouver à peine correct, et patienter encore plusieurs mois pour le suivant : c'est une expérience que je trouve assez frustrante. Le format s’est imposé comme un levier stratégique naturel pour les jeux narratifs et linéaires, où la continuité de l’histoire et l’engagement du joueur sont finalement essentiels. Il fonctionnait très bien pour The Walking Dead de Telltale Games, qui illustre parfaitement son potentiel, la licence ayant enchaîné plusieurs saisons fructueuses faites de cliffhangers très prenants.

Pour les développeurs, l’intérêt principal réside dans la réduction des risques. En décomposant un projet en épisodes, on peut limiter les pertes si le premier épisode ne rencontre pas le succès attendu, ajuster la production des suivants grâce aux retours des joueurs. Les joueurs peuvent aussi en tirer des avantages : des jeux plus digestes, des épisodes plus courts et la possibilité de découvrir un univers sans s’engager dans un achat trop lourd. Mais je ne peux m'empêcher de trouver que le format fonctionne de moins en moins bien et met surtout beaucoup trop en lumière les défauts scénaristiques d'un jeu au contenu inégal.
Michael Choung, le CEO du studio AdHoc, qui a sorti l’un des meilleurs jeux narratifs de ces dernières années, Dispatch, n’est pas non plus très friand du système.
« C'est de la folie. De tous points de vue, d'un point de vue production, personne ne devrait faire cela. Et si vous pensez que le simple fait de le diviser en épisodes vous apportera le succès, eh bien, bonne chance ! Tout dépend de la composante créative du jeu. Si elle est forte, vous pouvez découper l'histoire comme vous le souhaitez, et cela fonctionnera, même si ce n'est pas le meilleur choix. »
L’équipe avait été "fortement conseillée" de ne pas adopter ce format, le qualifiant même d'"insensé". Pourtant, ce pari créatif, mené malgré les débats internes, s’est transformé en un triomphe commercial, propulsant Dispatch au-delà du million de ventes en seulement dix jours après sa sortie en octobre.

Une stratégie épisodique pensée pour captiver
Choung a expliqué que Dispatch se compose de "trois longs métrages d’animation premium et d’un jeu vidéo, tous s’entrechoquant et se frottant les uns aux autres". La fréquence de diffusion était plutôt courte, le studio ayant choisi de publier deux épisodes par semaine. Un rythme idéal pour générer un sentiment d’anticipation, à la manière des séries télévisées contemporaines. Et contrairement aux prévisions de l'industrie, qui anticipaient une chute du nombre d’utilisateurs après la première semaine, Dispatch a vu le nombre d’utilisateurs simultanés doubler à chaque nouvelle sortie hebdomadaire.
En réalité, je pense que le choix du format épisodique pour Dispatch est le bon, tant ses créateurs ont respecté les proportions et la valeur scénaristique de chaque portion d'histoire. On oublie les niveaux d’exploration et les dialogues à rallonge qui plombent le rythme de nombreux titres du genre : ici, l’efficacité prime, avec des épisodes concis d’environ une heure, durée parfaite pour les joueurs qui ne disposent que de quelques minutes de temps libre le soir. Et puis, le récit aide : jouer des super-héros, ça laisse finalement peu de temps pour le repos. Je me suis régalée à enchaîner deux épisodes par soir, toujours impatiente de découvrir la musique délicieuse qui conclurait chaque chapitre avant de consulter mes statistiques de choix. Évidemment, c’est un pari risqué et qu’il ne faut pas généraliser : la réussite de Dispatch repose avant tout sur la force de son récit impeccable et de sa narration parfaitement rythmée.