En marge du succès critique et commercial (complètement mérité) de Clair Obscur Expedition 33, il ne faut pas négliger tout le narratif qui s’est construit autour…

Quand on parle de Clair Obscur Expedition 33, il y a pour moi 2 choses : le jeu en lui-même, avec toutes ses qualités, et le récit médiatique qui s’est construit autour. Celui du “petit studio qui a donné une leçon aux géants de l’industrie” ou, pour reprendre les mots de Geoff Keighley - papa des Game Awards - au Summer Game Fest 2025, celui “d’une équipe de 30 développeurs qui a courageusement quitté les grands éditeurs pour tracer son propre chemin”. Parce que pour moi, si Clair Obscur en est là aujourd’hui (plus de 5 millions d’unités vendues, prix du Meilleur jeu de l’année), c’est aussi grâce à cette success story.

Bonjour, je suis ton nouveau coup de coeur

Quand Expedition 33 a été dévoilé au Xbox Games Showcase, le 9 juin 2024, c’était un peu l’amour au premier regard. Le genre de jeu tellement inattendu, singulier, ambitieux qu’il marque forcément. On découvrait alors son univers fantastique inspiré du Paris de la Belle Époque, la malédiction de la Peintresse, ses graphismes impressionnants, sans oublier un avant-goût de sa bande-originale et de ses combats dynamiques au tour par tour. On découvrait aussi pour la première fois le nom Sandfall Interactive, le studio - montpelliérain - derrière le projet.

À l’époque, Clair Obscur est seulement annoncé pour 2025 (sans plus de précision) sur PC, PS5 et Xbox Series, mais on sait déjà qu’il arrivera day one dans le Game Pass.

Et ce partenariat avec Microsoft n’est pas à négliger. “Qu’il s’agisse de l’annonce de notre jeu à l’été 2024 ou du trailer lors du Developer_Direct en janvier 2025 (où 10 minutes sont consacrées aux coulisses de Clair Obscur et à sa date de sortie, ndlr), Xbox nous a permis de faire connaître notre projet et d’atteindre un large public”, expliquera plus tard Guillaume Broche, co-fondateur, directeur créatif et principal visage de la société. En décembre dernier, on a même appris qu’Expedition 33 a signé “le plus gros lancement d’un studio partenaire dans le Game Pass en 2025”.

Il ne faut pas non plus négliger le soutien financier de Microsoft (les développeurs ne cèdent pas gratuitement leurs titres à Xbox et son Game Pass). À ce jour, on ne sait pas combien le géant américain a déboursé pour ajouter Expedition 33 à son catalogue. D’après le New York Times, le budget du jeu est néanmoins de “moins de 10 millions de dollars”.

Quand PlayStation et la presse s’y mettent

Mais à côté de Microsoft, Clair Obscur peut aussi compter sur le soutien (cette fois plus informel) de PlayStation, dont le blog officiel fera plusieurs fois office de “tribune”. Dans les colonnes de Sony, Guillaume Broche apporte notamment des détails sur l’univers, les inspirations et le système de combat d’Expedition 33, dans une interview publiée fin juillet 2024.

C’est de toute évidence à ce moment, 2 mois après l’annonce de Clair Obscur, que le narratif autour du jeu va se crystaliser. Fin juillet 2024, GamesRadar+ reprend une interview du PS Blog et présente Sandfall comme des “vétérans d’Ubisoft” dès son titre. Un pluriel maladroit, d’ailleurs complètement absent du corps de l’article (où seul Guillaume Broche est cité, à juste titre, comme un ancien d’Ubisoft). En réalité, seuls 3 des 33 salariés du studio - on parle aussi parfois de 34 membres, mais c'est en comptant Monoco, le chien mascotte de l'équipe - ont réellement travaillé chez le géant français par le passé, comme le confirmera plus tard Broche au Washington Post. Pour la grande majorité des autres développeurs, Clair Obscur était leur premier projet d'envergure.

“Les vétérans d'Ubisoft à l'origine du RPG au tour par tour stylé Clair Obscur : Expedition 33 « partagent tous un amour » pour les classiques du JRPG (...) - Titre de GamesRadar+, le 29 juillet 2024

Une histoire qui a tout pour être aimée

Après la sortie de Clair Obscur, d’autres anecdotes viendront alimenter la success story de Sandfall, notamment la manière dont Guillaume Broche a trouvé certains collègues sur des forums. Mais, en marge d’une campagne marketing menée tambour battant - annonce d’un casting anglais prestigieux, Developer_Direct de Xbox, previews hands-on de la presse - et d’une réception critique unanime (92% Metacritic), quelque chose va faire de l’ombre à “l’histoire parfaite” du studio français.

Le 28 avril, 4 jours après la sortie du jeu, Rock Paper Shotgun publie un article dont le titre parle de lui-même : “Non, Clair Obscur n'a pas été « fait » par 30 personnes”. Le média attire alors l’attention sur les autres petites mains qui ont aidé à faire d’Expedition 33 une réalité, listées dans les crédits du titre mais absentes de l’image d’Épinal que tout le monde s’arrache. Il est notamment question d’une équipe coréenne de 8 personnes qui s’est occupée d'animer les phases de gameplay. Mais si on sort du cadre du “coeur du jeu” et qu’on ajoute à ça l’assurance qualité, la localisation et le doublage, les chiffres s’envolent. Au total, plus de 400 personnes (dont les remerciements spéciaux et les membres de l'éditeur Kepler Interactive) apparaissent dans les crédits de Clair Obscur.

Une “révélation” qui n’a pas abîmé la réputation d’Expedition 33 ou de Sandfall Interactive, mais qui dit quelque chose sur ces vérités communément admises dans l’espace médiatique. Pour Rock Paper Shotgun, tout ça reflète également “une tendance, dans les médias occidentaux, à minimiser la contribution des travailleurs externalisés et des studios de soutien d'Asie de l'Est et d’ailleurs”.

Le site estime aussi qu’il ne faut pas jeter la pierre à Guillaume Broche et son équipe, et je suis d’accord. Sur la scène des Game Awards 2025, au moment de recevoir le prix du Meilleur jeu de l’année, le co-fondateur a d'ailleurs tenu à remercier les équipes de localisation, les playtesteurs, celles et ceux qui ont participé au doublage et à la motion capture, et plus globalement, “toutes les personnes” qui ont travaillé sur Clair Obscur. “C’est vraiment un travail d’équipe”, a-t-il affirmé.